La lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ne faiblit pas. Face aux multiples tentatives de l’État pour le diviser, le mouvement reste uni dans sa stratégie d’occupation de la Zad (« zone à défendre »), et parvient à convaincre des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier.
Depuis un an, les manifestations rassemblent toujours plus largement : avec l’appui des comités de soutiens venus de toutes la France, 20 000 personnes étaient présentes lors de la Chaîne humaine autour de la Zad en mai 2013, 40 000 lors du festival militant en août, 40 000 à nouveau lors de la manifestation du 22 février 2014 à Nantes.
Radicalement unis
La fin de l’année 2012 avait été marquée par une entreprise d’expulsions et de répression violentes sur la Zad, baptisée « opération César ». L’une des conséquences a été non seulement de porter le mouvement sur la scène nationale mais également de consolider l’unité de ses différentes composantes.
Depuis, l’État a essayé de défaire ce qu’il a lui-même contribué à renforcer, en tentant de diviser le mouvement par tous les moyens, c’est-à-dire principalement en essayant d’isoler les zadistes du reste des opposants. Devant l’échec de la répression, il a en toute logique opté pour une stratégie de « concertation » en mettant en place une « commission de dialogue » dont l’un des objectifs était d’amadouer la branche institutionnelle du mouvement, qu’ils s’agisse du CéDpa (le collectif des élus « doutant de la pertinence de l’aéroport ») ou d’EELV, membre de la majorité gouvernementale. Entreprise qui a lamentablement échoué. Car si, au sein du mouvement, les méthodes peuvent diverger, il n’est question pour aucune de ces composantes de négocier le projet.
La commission de dialogue n’a pas fait illusion, apparaissant comme une entreprise d’explication de texte visant à faire passer la pilule plus que comme un espace de confrontation d’idées. Au contraire, l’accalmie de la répression sur le terrain a permis aux opposants de répandre largement leurs arguments : l’inutilité, le coût et les conséquences de l’aéroport sont désormais largement connus, au point qu’un sondage national donne 56 % d’hostilité à ce projet local.
Face la critique radicale des spécialistes de l’environnement, la commission n’a cependant répondu que par quelques aménagements des « compensations environnementales » inventées par les bétonneurs. Le mouvement a alors produit, à travers les « naturalistes en lutte », son propre inventaire de la biodiversité de la Zad et révélé la tromperie des expertises officielles.
Le dernier épisode de cette tentative de division n’est autre que la manifestation du 22 février dernier. Le gouvernement, renouant avec une stratégie violente, a choisi consciemment de provoquer les manifestant-e-s en plein centre-ville de Nantes, et non pas sur la Zad, avec le double objectif de désunir le mouvement et de le discréditer aux yeux de la population nantaise.
Mais encore une fois, bien que les différents acteurs aient des appréciations divergentes des modes d’actions violents, le mouvement a réaffirmé sa solidarité, son unité et se dit prêt à résister à toute tentative policière dans le bocage.
Dans ce cadre, les dirigeants d’EELV sont plus que jamais sur le fil du rasoir, pris entre leur déclaration de soutien au gouvernement et la solidarité réaffirmée de leurs militants sur le terrain.
Les armes juridiques
Le mouvement utilise toutes les armes à sa disposition. Le harcèlement juridique répond ainsi à la répression légale organisée par l’Etat. La grève de la faim du printemps 2012 avait permis d’obtenir l’engagement du candidat Hollande de ne pas expulser tant que les recours contre le projet n’auraient pas été jugés. Une manière d’entériner le rapport de forces pour gagner du temps.
Les actions juridiques sont également utilisées médiatiquement pour rendre visibles les tentatives d’expulsion, le non respect de la loi sur l’eau, la répression des militant-e-s… C’est ainsi que les menaces d’expulsion de la ferme de Bellevue, occupée et exploitée conjointement par les agriculteurs et les zadistes, ont paradoxalement permis de faire connaître cette action.
Pour autant, c’est bien l’État qui reste maître du jeu sur ce terrain : les recours ont échoué, et il a suffi au gouvernement de contourner sa propre loi sur l’eau pour l’adapter au projet.
La Zad, zone occupée
L’unité dans la lutte est dictée aussi bien par la détermination du mouvement que par l’épreuve de la réalité : bien plus que les actions en justice, c’est l’occupation permanente du terrain par des militant-e-s organisé-e-s et déterminé-e-s qui constitue la première opposition aux lancements des travaux. Une réalité largement sous-estimée par le gouvernement.
L’alliance des zadistes et des agriculteurs1 s’est en effet renforcée sur la Zad : à la solidarité des agriculteurs de Notre-Dame-des-Landes (qui avaient appelé à l’occupation en 2009) s’est ajoutée celle d’une multitude de paysans du réseau « COPAIN »2, qui rassemble dans toute la région.
Le caractère régional du mouvement joue dans ce contexte un rôle important : les soutiens viennent principalement de la Bretagne administrative, où la mémoire des grandes luttes victorieuses (Plogoff, Le Carnet) reste vivante.
Ces paysans, proches de la Confédération paysanne ou des mouvements de l’agriculture biologique, s’opposent à l’agriculture extensive, au système bancaire, à l’industrie agro-alimentaire, qui ont transformé les conditions d’exploitation et provoquent casse de l’emploi, saccage de l’environnement et malnutrition. Les agriculteurs sont une composante sociale essentielle de l’occupation, qui dispose de plus de moyens d’action forts (tracteurs) et d’une tradition de résistance physique.
Ce sont eux qui avaient encerclé avec 45 tracteurs le lieu reconstruit de La Châtaigneraie, puis la ferme de Bellevue, menacée de destruction. Ils entendent bien pérenniser cette « Zad – Zone d’agriculture durable » en créant des emplois par des activités de maraîchage et d’élevage.
Avec 520 tracteurs, la manifestation du 22 février à Nantes a été l’une des plus grandes mobilisations agricoles de ces dernières années. Le maquillage médiatique l’a fait disparaître opportunément, quel-ques mois après la casse de l’emploi agroalimentaire en Bretagne et juste avant le Salon de l’agriculture.
Du conflit d’usage au conflit de classe
La stratégie d’occupation rappelle que l’un des enjeux principaux de la lutte est la terre et son utilisation. Ce « territoire » occupé doit être compris comme un moyen de production. Face au patronat qui s’accapare des terres publiques, agriculteurs et zadistes rappellent que la terre appartient – devrait appartenir – à celles et ceux qui la travaillent.
C’est à la fois un conflit sur la valeur d’usage d’un territoire et un conflit de classe pour l’appropriation (par Vinci ou par la population) d’un territoire-outil de production. Entre le patronat et la population, il y a les pouvoirs publics, qui servent le premier tout en prétendant servir l’intérêt général.
Cette lutte est l’occasion de démontrer à une échelle de masse la complicité de l’État et de ses appendices locaux (conseils régionaux, généraux, municipalités) avec les capitalistes. La multitude des actions contre Vinci et des dénonciations des partenariats publics-privés3 partout en France en témoigne.
Une extension à la classe ouvrière organisée
La lutte est en train de gagner une partie de la classe ouvrière organisée. Les politiques d’austérité qui accentuent la brutalité des conditions de travail et les licenciements dans la région (la sous-traitance industrielle, l’agroalimentaire, la distribution, de grandes usines comme Arcelor ou les chantiers navals sont particulièrement menacés) tendent à cristalliser les mécontentements contre un aéroport dévoreur de fond publics et qui au final ne créera pas les emplois promis.
La réaction à la répression anti-démocratique est également un élément déclencheur de cet adhésion croissante au mouvement.
L’évolution récente de la CGT, qui n’a officiellement pas de position sur l’aéroport, est significative : un communiqué exemplaire de la CGT Nantes-Métropole, dénonçant la répression lors de la manifestation du 22 février4, a été suivi d’une prise de position du congrès départemental, puis par la création d’un collectif « militants CGT contre l’aéroport ». Leur préoccupation : l’emploi, saccagé par le projet. La violence n’apparaît plus comme une question légale ou morale, mais comme une question de légitimité.
La répression, les mensonges sur l’emploi et les déclarations scandaleuses de la direction du PCF (parti allié au PS et pro-aéroport) ont provoqué la démission retentissante d’un de leurs militants historique. Une ligne de fracture se dessine entre les militant-e-s sincères et ceux qui se placent du côté du pouvoir.
Une opposition populaire au gouvernement PS est en train de naître, dans des luttes que Notre-Dame-des-Landes cristallise. Elle trouve aussi son expression dans les élections municipales, à travers les listes à gauche d’un PS hégémonique.
Convergence des luttes : un mouvement exemplaire
« Convergence 2014 » : ce devrait être le nom du prochain grand rassemblement (les 5 et 6 juillet) à Notre-Dame-des-Landes. Car depuis l’émergence du mouvement sur la scène nationale, il n’a cessé d’inspirer. L’année 2013 a vu fleurir des Zad un peu partout. Avec des succès mitigés certes, mais il n’en reste pas moins que le mouvement essaime hors de son territoire. L’expression Zad, « zone à défendre », pourrait même faire son entrée dans le dictionnaire.
L’occupation comme stratégie de lutte retrouve ses lettres de noblesses. Plusieurs zones d’occupation se sont développées sur le même modèle : à proximité du parc régional du Morvan, pour s’opposer à un projet de scierie industrielle assortie d’un incinérateur ; dans le Gard contre la création de deux golfs sur la commune de Saint-Hilaire-de-Brethmas, territoire en pénurie d’eau ; à Mont-Saint-Aignan encore, près de Rouen, pour préserver quatre hectares de terres et sept bâtiments de la ferme des Bouillons, préemptés par la filiale immobilière du groupe Auchan. L’occupation (d’un simple chemin) a été également l’arme principale de la lutte contre la déchetterie de la sulfureuse multinationale GDE à Nonant-le-Pin, en Normandie, qui pollue les eaux avoisinantes et menace à la fois les éleveurs et la population.
On n’en finirait pas d’énumérer tous ces projets locaux connus désormais sous le nom de Grands projets inutiles et imposés (GPII), qui lèvent partout dans le monde les populations locales contre des capitalistes et des pouvoirs publics parfaitement unis. C’est ainsi que Notre-Dame-des-Landes est devenue une lutte internationaliste : elle a permis de donner un écho aux luttes contre le TGV Lyon-Turin en Italie, contre la gare de Stuttgart en Allemagne ou encore contre les mines d’or d’Olympiada et de Cajamarca en Grèce et au Pérou.
Une phase critique
En réalité, le gouvernement Hollande-Ayrault est aux abois. Face à une contestation grandissante du projet d’aéroport, il n’a rien à opposer : ni prétendues créations d’emploi, ni mesurette écologique, pas même un brin de démocratie. Que lui reste-t-il comme marge de manœuvre ? L’enjeu politique est tel que le gouvernement ne peut pas perdre cette bataille, surtout sur sa gauche : il en va de sa crédibilité.
Un départ de Ayrault, qui est aussi le premier porteur du projet, à la faveur d’un remaniement, serait l’occasion d’enterrer le projet sous un prétexte quelconque – l’état des finances publiques ou les atermoiements européens sur la loi sur l’eau seraient alors des portes de sortie pour Hollande.
La lutte entre dans une phase critique : après les élections municipales, une fenêtre de tir s’ouvre pour Hollande s’il veut expulser manu militari la Zad. Il pourrait choisir ce moyen pour donner à son gouvernement une image de pouvoir fort, à l’instar du ministre de l’intérieur Manuel Valls. La violence de la répression en Bretagne autour du mouvement des « Bonnets rouges » montre qu’il y est prêt.
Mais s’il choisissait la voie de la violence, le gouvernement aurait fort à faire : les opposants s’affirment radicalement unis sur la Zad s’il s’agit d’empêcher une expulsion, prêts à la résistance physique et à tenir l’occupation face à la police. Ils sont forts de leur première victoire lors de l’opération César et assurés de la solidarité concrète d’une large partie de la population.
Sandra Cormier et Bertrand Achel
(Cet article, publié dans notre mensuel L’Anticapitaliste n°53 (avril 2014), a été achevé le 20 mars 2014, donc avant la démission de JM Ayrault)
Notes :
1 Voir « Au cœur de la Zad, l’alchimie d’un mouvement », dans « Tout est à nous La revue », numéro 40 de février 2012
2 « Collectif des Organisations Professionnelles Agricoles INdignées par le projet d’Aéroport ».
3 Voir « Un contrat en béton pour Vinci » dans « Tout est à nous la Revue », numéro 40 de février 2012.
4 « Les tags seront effacés, les vitrines redressées, les locaux reconstruit (…) Le jeune, lui, ne retrouvera pas son œil. La veille de la manif, un homme s’est pendu. Il ne supportait plus les conditions de travail imposées. Qui en a parlé ? (…) La violence des riches est bien plus violente, mais elle sait rester cachée, invisible, sans visage. »