Ce n’est pas tous les jours qu’on vit une révolution. Jérôme (*) vit au Burkina-Faso depuis deux ans. Militant – blanc et Français – contre la FrançAfric.
Il nous a envoyé son récit des manifestations qui ont renversé le dictateur Blaise Compaoré.
« Libérez Kosyam » est le principal slogan des manifestant-e-s, l’équivalent de « Prenez l’Elysée ». Ce témoignage raconte donc la chute du Président-Dictateur sous la pression des manifestants : une manifestation qui s’installe, l’affrontement avec les CRS et, deux jours plus tard, l’incendie de l’Assemblée Nationale.
Nous avons ajouté les intertitres et quelques notes pour expliquer les revendications et symboles des manifestant-e-s. [édit du 2/11 : orthographe]
(*) Son prénom a été modifié.
- Communiqué du NPA : Solidarité avec la révolte populaire au Burkina Faso
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Manifestation du 28 octobre à Ouagadougou :
Je vous envoie un petit récit à chaud de mon ressenti de blanc militant à Ouagadougou.
Tout d’abord, voici quelques slogans que j’ai pu lire hier dans la manif. A chaque manif, j’aime bien faire le tour et noter les slogans, mais il y avait une tension assez forte et quand un blanc sortait son carnet et notait quelque chose c’était assez mal vu.
- « Libérez Kosyam » Kosyam est la Présidence de la République : c’est pratiquement le seul slogan des marches hurlé pendant la manif
- « Non à la modif de l’article 37 » [l’Article 37 de la constitution du Burkina-Faso limite le nombre de mandats présidentiels ; empêcher sa révision et donc empêcher compaore de rester au pouvoir est l’enjeu immédiat de cette manifestatio – NDLR]
- « Quitte le pouvoir Blaise »
- « Non au référendum »
- « Fonce pas tout droit ! »
- C’est pas maïs c’est mur
- Président pourri va t’en
- on en a marre
- Enferundum !
- Yaa yaa boin
- Trop c’est trop
- Y avait bcp de jeu de mots sur Ebola : « Ebola Faso », « Président Ebola », « Ebola = Blaise »
- A une loi injuste, nul n’est soumis à se soumettre
- Ils sont 95 (députés) à voter Oui, Nous sommes 16 millions à vouloir le Non
- L’homme fort du pays, ai pitié de nous et quitte le pouvoir
- Blaise va en enfer
- Même les prophètes se sont succédés, pourquoi pas toi ?
- Non à la vie chère, on est pas achetable
- Blaise où se trouve l’or ?
- Obama et Hollande sauvez-nous ?
- CDP = Compaoré Doit Partir [jeu de mot sur le CDP, Congrès pour la Démocratie et le Progrès, le parti au pouvoir – NDLR]
- Blaise le Burkina , c’est pas ton village, faut quitter, 27 ans c’est trop
- Et moi j’avais fais une pancarte, elle m’a valu une grande sympathie tout au long de la manif : « A bas, la FrancAfric et ses valets »
Les femmes étaient très nombreuses à avoir leur grosse cuillère en bois pour faire le tô (c’est un signe de malheur). Beaucoup de gens avaient aussi des balais, pour le Balais citoyen.
Globalement, la tension est assez forte et palpable. J’ai jamais entendu autant parler politique que ces derniers jours.
Le sentiment anti-français n’est pas si fort, mais tout de même présent. Malgré ma pancarte et mon T-shirt du Balais Citoyen, je me suis fais un peu emmerder.
Pour la manif, tout le parcours ça allait, pas de violence. Mais une fois arrivé au Rond-Point des Nations-Unies, les partis politiques ont globalement continué la marche pour rejoindre le point de départ place de la Nation. Déjà, les manifestants traînaient sur le rond-point ; il y avait avec quelques jets de pierre.
« Et tout d’un coup, il y a eu un mouvement de la foule, qui a fait demi-tour pour aller à l’Assemblée Nationale, mais les CRS bloquaient la voie. »
Et tout d’un coup, il y a eu un mouvement de la foule qui a fait demi-tour pour aller à l’Assemblée Nationale, mais les CRS bloquaient la voie. Il y a eu quelques beaux sit-in.
Puis le rythme des pierres qui volent s’est accéléré brutalement. Les CRS ont mis beaucoup de temps avant de tirer les lacrymos. Par contre, ils y sont allé très fort après.
Tout le monde s’est mis à courir et aussitôt des barricades ont été formées. Les jeunes jetaient les pierres et ça « jouait » au chat et la souris. Les barricades n’étaient pas très bien faites et les pick-up slalomaient en tirant les gaz.
A un moment, un CRS est tombé du pick up, il a commencé à se faire lyncher, mais ses collègues ont fait demi-tour pour le récupérer. Les manifestants ont pu récupéré son casque. Il paraît qu’il ne parlait pas français et tout le monde disait que [les CRS] n’étaient pas des Burkinabés mais des Togolais, car un Burkinabé ne peut pas tirer comme ça sur son peuple. J’ai entendu aussi qu’ils étaient Libériens ou Touaregs (ce qui m’étonnerait).
Les échauffourées ont duré encore jusqu’à 18 H et à cette heure légale pour occuper la place de la Nation, les flics ont évacué les 300 irréductibles (dont Smockey) qui voulaient dormir sur la place de la Nation jusqu’au vote des députés. [Smockey est un chanteur Burkinabé populaire, très engagé dans le mouvement du Balais citoyen – NDLR]
Le soir, il y avaient plein de barricades mais peu ce matin. Visiblement, beaucoup d’entre elles avaient été vidées dans la nuit.
Je pense qu’il manque encore un peu de pression et d’organisation pour que toute la ville soit bloquée.
Vendredi 31 octobre à Ouagadougou : la prise de l’Assemblée Nationale
Ce matin c’était bouillant. Il y avait des barrages de CRS bien armés (certains disent que c’étaient des Togolais) sur tous les accès de l’Assemblée Nationale et particulièrement sur le rond-point des Nations-Unies.
Moi, j’étais dans le quartier de ***. Quand je suis sorti, il y avait des barrages de CRS comme partout dans la ville. Les flics ripostaient dur avec des gaz lacrymo, mais les jeunes en masse avaient un courage exceptionnel et attaquaient les CRS à main nus ou au lance- pierre. Vraiment c’était beau à voir. Vraiment, on n’a pas eu un tapis rouge pour arriver à l’Assemblée !
A force de reculer, les policiers ont lâché les premiers barrages pour se concentrer sur le rond-point des Nations-Unies. Là, ça chauffait fort. Le vent nous était favorable et les gaz lacrymo retournaient sur les flics et peu sur les manifestants. Les gars étaient bien organisés : ils attaquaient de chaque côté et à chaque 30 mètres gagnés une nouvelle barricade étaient formée avec des pneus enflammés.
« les manifestants ont fait sauter tous les barrages et ont réussi à prendre l’Assemblée nationale »
Au bout d’un moment, le camion de police muni d’une lance à eau chaude s’est trouvé à court d’eau. Les manifestants, extrêmement nombreux, ont avancé inéluctablement. Malgré quelques gaz et des balles réelles, les manifestants ont fait sauter tous les barrages et ont réussi à prendre l’Assemblée nationale où devait se dérouler un vote pour la modification de la constitution pour que le président puisse se représenter. Alors que Blaise est depuis 1987 au pouvoir.
Dans ce moment historique pour le Burkina, j’étais présent, et j’ai distribué de l’eau sur les mouchoirs, ainsi des citrons, pour atténuer les lacrymos.
Bref, l’Assemblée des députés corrompus à été prise et incendiée sur le champ. C’était la victoire. Malgré l’hélico de la police qui larguait des gaz, la population étaient en liesse.
Puis les manifestants se sont mis à incendier les maisons de tous les ténors du parti au pouvoir.
Il y a eu quelques morts. Notamment sur le cortège qui essayait de prendre le palais présidentiel. La garde présidentielle ne blague pas et tire à balles réelles.
Aux dernières nouvelles, les militaires prendraient le pouvoir par un coup d’État, mais la situation est très confuse.
Zéphirin Diabré, le chef de l’opposition, a fait une allocution calamiteuse, et à mon avis à laissé la porte ouverte à l’armée en ne voulant pas décréter un régime transitoire.
Une chose est sure : la France de Hollande a été encore une fois en-dessous de tout et a soutenu mordicus un régime depuis 27 ans au pouvoir. Ça fait réfléchir sur le vote utile, non ? « Pays des droit de l’Homme » c’est vraiment une belle connerie.
Espérerons que ce vent de révolution souffle sur toute l’Afrique.
1 réflexion sur « « Libérez Kosyam » : témoignage d’un militant dans les manifestations au Burkina-Faso »
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