Entretien. Sur le site de Notre-Dame-des-Landes, où se sont réunis environ 15 000 personnes le week-end dernier, nous avons rencontré Marcel Thébault.
Avec sa femme, il est producteur de lait au Limimbout, un village qui serait détruit si le projet d’aéroport aboutissait. Menacé d’expropriation, il continue de vivre et travailler sur la Zad comme si le projet n’existait pas. Marcel est membre de la Confédération paysanne. C’est un « paysan résistant » comme il se définit lui-même, un historique du mouvement. Au printemps 2012, il était de celles et ceux qui avaient entamé une grève de la faim, grève qui avait imposé au gouvernement Ayrault de ne procéder à des expulsions avant la fin des recours juridiques.
paru dans Hebdo L’Anticapitaliste – 298 (16/07/2015)
Quel bilan tires-tu de ce nouveau rassemblement ?
L’affluence, l’ambiance sur ce rassemblement sont une très bonne nouvelle. C’était un pari car c’est un festival sans tête d’affiche, un festival militant. On a pris le risque d’être moins nombreux. On est donc très satisfaits de notre capacité à mobiliser, et que les gens soient toujours très réactifs sur le sujet, qu’ils viennent pour se retrouver et pour s’informer, assister aux forums… La mobilisation est intacte, et c’est un bon point à la veille du 17 juillet. Un très bon message en interne et en externe.
Comment les débats ont-ils évolué depuis les premiers rassemblements estivaux ?
Cette année, on n’a pas de star politique, mais on reste sur un rendez-vous très politique et c’est une bonne nouvelle. On concentre énormément de questions politiques, que ce soit sur l’organisation de la société, les échanges avec des gens qui apportent des idées nouvelles sur le rapport à la terre, à la nourriture…
Par rapport aux éditions précédentes, on avance sur l’avenir de la Zad. Quelque chose commence à se bâtir sur des bases communes. Le forum sur l’avenir des terres de la Zad a fait plus que le plein. Les gens sont intéressés par la deuxième étape : que faire demain sur les terres ? Et ils sont également prêts à nous soutenir ou à s’investir dans un projet collectif.
Où en est le projet d’aéroport ?
On est dans une phase où, sur le terrain, il n’y a pas d’agression extérieure… Sur le plan juridique, c’est une étape clé, avec le jugement des recours concernant la loi sur l’eau, la faune et la flore. C’est seulement en 2015, pour un projet daté de 2000 (!), que l’on va traiter d’une des parties absolument essentielle, à savoir la cohérence entre ce projet et le respect de l’environnement.
Avec 80 % de zones humides, s’ils respectent les lois, ils ne peuvent pas bétonner 900 hectares sur les 1 650. On attend donc une réponse le 17 juillet. Si celle-ci nous est favorable, Vinci ou l’État vont faire appel, et si c’est le contraire, nous ferons également appel. Il est donc hors de question que démarrent les travaux ou qu’il y ait une intervention sur la Zad, compte-tenu des accords politiques lors des municipales de 2014, car on sera toujours dans le cadre des recours juridiques.
Quel est l’état de la mobilisation sur la Zad ?
Sur place, il se passe pas mal de choses. Les paysanEs font leur métier, les occupantEs occupent et cultivent collectivement. Les échanges entre les gens qui vivent sur la Zad se poursuivent, des échanges parcellaires. Par exemple, deux hectares prêtés sont cultivés en blé par un collectif pour faire du pain qui sera ensuite envoyé sur une autre lutte. On est sur ce type de collaboration.
Il y a pas mal de de débats entre historiques et occupantEs sur la stratégie à adopter, mais on ressent vraiment la même chose : la détermination de nos militantEs est intacte, et en cas de coup dur, la mobilisation sera immédiate et très efficace. Il est hors de question de démarrer les travaux ! L’ensemble du mouvement est déterminé : des paysanEs, des citoyenEs, des occupantEs, des militantEs écologistes, y compris ceux d’organisations plus institutionnelles.
Quelles sont les perspectives pour les semaines et les mois qui viennent ?
Il y a un gros enjeu autour du 17 juillet, un véritable enjeu de communication. On sent bien que les pro-aéroport reprennent confiance, s’agitent plus. Le Medef est prêt à imaginer des scénarios à la Sivens, des milices qui puissent intervenir ici. Il n’a pas vraiment compris la nature de la situation. Sivens nous a tous interpellé et encore plus en tant qu’agriculteurEs. Imaginer que des collègues aillent jouer avec un public qu’on prend pour cible et qu’on bloque pendant une semaine… Ici, ce scenario est impossible. Il faut se rappeler qu’à Nantes, le 22 février comme lors de la manifestation de réoccupation, il y avait 500 tracteurs. Il n’y aura pas de milice face à 500 tracteurs. Même si il y a eu des interprétations différentes de ces manifestations, les 500 tracteurs reviendraient s’il y avait une milice.
Il y a donc un gros enjeu de communication autour de ce 17 juillet : les porteurs du projet vont sans doute essayer de nous faire passer pour des méchantsE qui tiennent la zone en hors-la-loi… Des gens à virer pour mettre de l’ordre et commencer les travaux parce que le juge l’a dit. L’enjeu est important et il faudra expliquer qu’il y a une séquence légale qui se déroule, que c’est une première réponse, puis qu’il y aura appel et que, par conséquent, il ne se passera rien en attendant.
L’étape suivante sera d’apprécier notre participation à la COP21. Ce sont des enjeux qui nous concernent tous ici. Les décisions qui se prennent à Notre-Dame-des-Landes ne sont pas neutres. Cela participe de la folie des grandeurs des politiques qui font n’importe quoi par rapport au climat. On est donc plutôt d’accord sur le fait d’être présents dans cette mobilisation, mais la forme exacte de notre participation n’est pas encore définie.
Quel avenir pour la Zad si le projet d’aéroport est abandonné ?
On commence à poser les bases philosophiques d’un projet commun : le respect de la diversité, le fait que les paysanEs qui sont en place continuent leurs activités, et que les occupantEs dans leur diversité aient les moyens de rester là, de pratiquer l’agriculture vivrière hors cadre ou dans des cadres plus normalisés s’ils le souhaitent.
Cela doit être un lieu d’expérimentations, d’initiatives diverses sur le plan social, du mode de vie, et sur le plan agricole et le rapport à la nourriture.
C’est également un lieu où l’on doit respecter la qualité de l’environnement. Un défi commun à tous, paysanEs, habitantEs, ou occupantEs. Il faudra avoir le souci de respecter collectivement ce cadre, car ce sont nos bases.
Nous voulons aussi que les 800 hectares auxquels les agriculteurEs ont renoncé et pour lesquels ils ont encaissé de l’argent servent à de nouvelles installations agricoles, dans un cadre monétarisé, avec une production plus ou moins classique, mais aussi dans le cadre d’installations vivrières collectives, avec différentes formes, différentes initiatives.
Tout cela fait partie des motivations fortes des paysanEs qui sont intervenus dans cette lutte, dont les valeurs sont le respect de l’environnement et les circuits courts pour vivre nombreux sur cette terre.
Propos recueillis par Sandra Cormier