Les actions en faveur des migrantEs ont une longue histoire à Nantes, mais l’expulsion, à la rentrée 2017 des anciens locaux des Beaux-Arts, a non seulement favorisé une exposition au grand jour d’une situation humanitaire infernale, mais aussi de nouvelles pratiques, de nouveaux réseaux qui sont venus se superposer aux solidarités plus anciennes du tissu associatif.
Centrée au départ sur l’occupation de lieux, la lutte des migrants et de leurs soutiens a vite intégré toutes les dimensions nécessaires à leur installation.
Main de fer contre mains tendues
Trois moments clé ont donné à la lutte une image particulière, mêlant occupations, activités de soutien et expulsions. L’occupation du campus a rendu visible la question et a permis que s’agglomèrent de nouveaux soutiens, dans la jeunesse et les milieux syndicaux. Suite à l’expulsion après un trimestre d’occupation des locaux universitaires de la Censive, un ancien Ehpad était occupé.
Les migrants passent alors d’un effectif de deux petites centaines a près de 600, en partie issus d’Afrique francophone. Si la vie à Bréa, ce nouveau lieu occupé, connaît une vie intense et organisée les premières semaines, l’expérience s’est effondrée face à la répression et aux limites logistiques et humaines. L’échec de l’occupation d’un ancien lycée professionnel, près du quartier Chantiers Navals, a clos provisoirement le cycle des occupations, après une douzaine d’expulsions. Ce qui a provoqué un regroupement de migrantEs avec des tentes au square Daviais, en plein centre-ville à l’été 2018. S’est regroupée en ce lieu une deuxième vague de migrantEs, SoudanaisES du Darfour et ÉrythréenEs en majorité. Le 20 septembre, suite à une injonction suscitée par la Mairie, 698 migrantEs ont été délogés et transportés, dans des bus municipaux avec des chauffeurs réquisitionnés, vers cinq gymnases. Pour être triés pendant dix jours au mépris de leurs droits élémentaires de demande du droit d’asile, séparés de leurs soutiens, et finalement répartis dans des petites communes. Ces centres de tri donnent le ton, et la mise en scène de divergences entre la maire Rolland (socialiste) et la préfète de choc Klein ne masquent pas de vraies convergences : pour les représentants de l’État et les responsables politiques locaux, Nantes n’est pas une ville d’accueil.
Partir de rien, tout construire
Pourtant, ici comme ailleurs, une ville ne résume pas à ses institutions. À partir de presque rien, des initiatives se sont construites, très souvent spontanées. Ainsi près de 200 familles hébergent des migrantEs, tandis que des habitantsE du quartier ont apporté de l’aide, de la nourriture, des vêtements. Parmi ces expériences, certaines impriment un caractère novateur. La rencontre, en effet, entre des équipes militantes et ces solidarités spontanées a permis de reconstruire des espaces abandonnés par les politiques publiques. D’un côté le courant autonome a poursuivi sa tradition d’occupation de lieux, en y ajoutant, en plus des activités de défense, de soutien, et d’inscriptions de jeunes dans des lycées, la mise en place d’un lieu de restauration autogérée, « l’Autre cantine ». Avec les bonnes volontés, dépassant largement leur réseau, cette initiative peut fournir jusqu’à 500 couverts par jour.
Pour notre part, dans le collectif des sans-papiers de Nantes (Cspn), nous avons mené le travail dans trois directions : l’éducation, la santé et l’auto-organisation. Avec le soutien d’enseignantEs, quatorze migrants ont pu être inscrits à l’université avec un logement ; une équipe d’enseignantEs a assuré des cours dans les lieux occupés, et c’est avec surprise que l’on a vu des lycées catholiques accueillir, en filières générale et professionnelle, des jeunes parfois majeurs. En outre, une équipe de médecins, composée désormais d’une quinzaine de personnes, a pu être constituée : dentistes, généralistes, psychiatres… assurent des permanences santé qui ne désemplissent pas. Des cabinets sont prêtés pour les opérations importantes, des pharmaciens ont utilisé leurs stocks, et l’expérience fait discuter dans un milieu pas toujours ouvert à la dimension sociale. Un succès qui amène des surprises, puisque les urgences nous envoient des patients…
Enfin, le point le plus difficile est de faire s’orienter ces solidarités vers le politique, et plus largement de développer l’activité propre des migrantEs. Une réussite fut le meeting destiné à présenter, par leur propres interventions, le sort des migrantEs, au public nantais : avec le soutien de tout l’arc syndical, 170 personnes, dont près de 50 migrants, se sont retrouvées, ce qui a permis de consolider des liens et d’élargir les soutiens. Au point de provoquer des collaborations inédites entre le Cspn, Rahim – une association de quartier de femmes musulmanes –, et la Maison du pain, association chrétienne africaine qui organise des collectes importantes de nourriture auprès de son réseau de petits commerçants.
Les difficultés sont nombreuses, et les tensions entre collectifs ne sont pas rares, tant sur les choix tactiques que sur les modes d’action. Mais la présence de ces nouvelles disponibilités militantes oblige souvent les équipes à plus de responsabilités. À contre-courant, et avec toute cette urgence, c’est un appel d’air encourageant.
Article extrait de notre dossier Des expériences concrètes de solidarité avec les migrantEs, avec les expériences des militantEs du NPA de Limoges, Lyon, Ouistreham (Calvados), Briançon et Nantes