Résister et lutter : « Je vous demande d’entendre le cri de la Guyane »

Nous publions une lettre ouverte de Mme R*, reçue à Nantes (ancienne ville de trafiquants d’esclaves) depuis la Guyane. Adressée au Président Junker, elle décrit les ressorts de la révolte en cours.
Elle est accompagnée d’une vidéo réalisée lors de la marche du mardi 04 avril 2017 à Kourou vers le centre spatial guyanais. Comme en Guyane, le mot d’ordre pour nous est : « Résister et lutter ».

Monsieur le Président Junker

Je viens vous parler de mon pays : la Guyane française.

C’est un beau pays où nous sommes parvenus, malgré une genèse cruelle et douloureuse, à rester debout et à construire un monde où le vivre ensemble est notre ciment et notre force.


C’est une région française où la France et l’Europe lancent des fusées pour le monde entier sauf pour notre région,

C’est une région française où la France a parqué la population sur une bande littorale et s’est appropriée 90% du territoire,

C’est une région française où il n’existe pas de routes qui couvrent l’ensemble du territoire, où le transport des hommes, du matériel, des vivres se fait par avion ou par les fleuves décrétés non navigables par les lois françaises,

C’est une région française où la continuité territoriale avec la France hexagonale est à des tarifs exorbitants,

C’est une région française, à 8000KM de la France hexagonale, mais où le commerce avec les pays voisins est interdit et où seule « l’économie de comptoir » héritée de l’époque coloniale perdure,

C’est une région française où à l’hôpital public, des nourrissons meurent suite à des infections nosocomiales, où on meurt suite à une morsure de serpent car il n’y a pas de sérum anti-venin, où on décède carboniser sur son lit car le système de sécurité n’a pas fonctionné, où l’on préfère faire venir, à grands frais, du personnel de l’extérieur, notamment des infirmiers, alors qu’une école formant ce personnel existe sur place,

C’est une région française où les enfants, dès 3 ans, se lèvent à 5 heures du matin pour aller à l’école, en bus ou en pirogue, dans des écoles souvent sales, délabrées, surchauffées à plus de 35° dans certaines communes, où l’on apprend l’histoire et la géographie de la France hexagonale, formant des hommes sans racines ni histoire,

C’est une région française où la France n’est pas laïque car les prêtres y sont rémunérés,

C’est une région française où nos jeunes, faute d’emploi, d’avenir, d’espoir préfèrent faire « les mules » ou se suicider,

C’est une région française où on vous tue pour 20 euros, une chaîne en or ou même rien dans la rue et chez vous,

C’est une région française où la France laisse piller les richesses naturelles faisant de nous des mendiants,

C’est une région française où l’on vient se servir et ne rien donner en retour sinon la nourriture qui incombe au maître envers ses animaux domestiques.

La France, pays des droits de l’homme, nous a trahit à nouveau. Nous avions fait le rêve, au sortir de l’esclavage, que la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » s’adressait à l’universel.

Aujourd’hui, comme hier nous sommes victimes d’avoir cru en une nation exemplaire qui fasse vivre ses grands principes sur tous ses territoires.

Monsieur le Président Junker, je vous demande d’entendre le cri de la Guyane, c’est un cri qui monte du fond des navires négriers et qui demande justice à la France et à l’Europe aujourd’hui pour ces décennies d’abandon et pour la reconnaissance à part entière de notre citoyenneté.

Dans l’espoir d’être lu et entendu, je vous prie de croire, Monsieur le Président Junker, en l’expression de mes salutations les plus respectueuses.