Les quelques jours que nous venons de vivre à la Zad ne s’expliquent pas simplement. Comme pour beaucoup de batailles politiques, il faut longuement décrire le tableau des forces en présences pour expliquer l’enchaînement soudain des événements. Car plus qu’une bataille militaire, c’est bien d’une bataille politique qu’il s’agit.
Le gouvernement n’avait pas besoin d’évacuer la Zad pour en récupérer les terres : la situation juridique complexe créée par l’abandon du projet d’aéroport laissait un an ou deux pour imaginer des solutions avant le retour des terres réquisitionnées à leur vocation agricole, et le dialogue avait fini par s’entamer entre le mouvement (zadistes compris) et l’État.
Le gouvernement avait besoin de cette opération policière spectaculaire sur la Zad, pour trois raisons politiques :
D’abord, ne pas laisser une victoire totale aux opposantEs, après une bataille politique de 50 ans ! Tenter de tuer l’espoir qu’à fait naitre la victoire à NDDL. La mobilisation ayant pris une ampleur nationale depuis la tentative d’évacuation de 2012, cette victoire redonne de l’énergie à toutes celles et ceux qui se battent contre la multitude de projets « inutiles et imposés » ; elle démontre que, même réprimée, une mobilisation contre l’État et les multinationales peut être victorieuse.
Ensuite, ne pas laisser « s’enkyster » (le mot est de Valls) un mouvement. La Zad aurait joué le même rôle militant que le plateau du Larzac, avec cette différence fondamentale : elle est à 20 km de Nantes, une des villes historiquement les plus remuantes de France.
Enfin et surtout, l’État doit montrer sa force, laver le camouflet policier de 2012 et démontrer qu’il peut intervenir partout. Cette opération policière est donc avant tout une démonstration politique, une opération de communication en somme. C’est un avertissement à tout le mouvement militant, au moment où les facs sont occupées, où les cheminotEs se lancent dans un mouvement périlleux pour le gouvernement.
« Karchériser les opposants »
Si l’on suit cette logique, le gouvernement a intérêt à « karchériser les opposants » (pour reprendre l’expression de Jacques Auxiette, ancien président PS de la région). Ne rien laisser subsister de cette expérience militante hors du commun.
D’où la débauche de moyens policiers (on ne peut employer le mot « militaire » car s’il y a bien des fusils d’assaut et des blindés sur la Zad, le gouvernement ne peut pas se permettre la mort d’un opposant, comme celle de Rémi Fraisse en 2015).
D’où la main-mise de l’État sur l’espace médiatique : un service de presse de la gendarmerie, renforcé par 200 caméras personnelles, fournit des images choisies aux médias. Les journalistes sont largement dissuadés d’entrer sur la zone, les rédactions télévisées largement muselées.
Cette « option forte » du gouvernement ne tient pourtant pas compte de la profondeur du mouvement de NDDL.
Certes, l’aéroport est abandonné, et beaucoup de soutiens maintenant veulent passer à autre chose : le mouvement a perdu des forces. S’il était aisé de s’unir contre l’aéroport, il est plus difficile de s’unir pour quelque-chose (la Zad et les expériences sociales qui y naissent).
Mais les « zadistes » ne sont pas les « black blocks » nomades que les gouvernements nous présentent à travers la mise en scène médiatique de la répression. Ce sont d’abord de jeunes (et moins jeunes) écolos qui aspirent à un autre mode de vie, appelés par des paysans en 2009 à occuper une zone laissée libre. De cette alliance improbable est née une multitude de projets agricoles ou artisanaux. En 10 ans, des liens se sont noués, des projets partis de rien ont grandi. La formidable solidarité populaire de 2012 contre l’évacuation était fondée sur le refus de l’aéroport et le refus d’une répression jugée illégitime contre « les jeunes ». En 2018, la Zad s’est fait largement connaître pour ce qu’elle est : beaucoup connaissent la ferme de Bellevue, le « non-marché » du Gourbi ou la bibliothèque du Talu. Le mouvement a volontairement fait connaître la Zad depuis trois ans, pour contrer l’image de violence véhiculée par les médias et certains zadistes eux-mêmes.
Coup de tonnerre sur « Les 100 Noms »
Les jours précédents, et jusqu’au début de l’intervention, les déclarations sont variées : des appels à l’unité certes, mais aussi des reproches adressés publiquement à certains des zadistes, qui empêchent la réouverture de la fameuse « route des chicanes », offerte au gouvernement par le mouvement, en cadeau de bienvenue, pour ouvrir les négociations et démontrer sa capacité à « gérer » la Zad.
Des reproches publics aussi car la grande majorité des occupantEs refuse de déclarer individuellement leurs projets agricoles, ainsi que l’exige l’État. C’est que cette déclaration individuelle, liée à une parcelle agricole précise, est inappropriée sur la Zad, où les projets sont collectifs, et pas toujours strictement localisés. C’est précisément ce que le mouvement tente de négocier : conserver les caractères collectifs et originaux des projets paysans et artisanaux de la Zad.
ChacunE sur la Zad et autour s’attendait à ce que l’État détruise divers lieux de vie (qu’il appelle « squatt ») sans projet agricole défini, qu’il détruise les habitats des plus radicaux ou des plus précaires, qu’il chasse quelques tentes et caravanes. L’objectif aurait été de diviser les zadistes eux-mêmes, entre celles et ceux qui participent à un projet collectif (paysan ou artisanal) acceptables par le gouvernement, et les autres, plus marginaux ou simple militantEs. On pouvait penser qu’une fois ceux-ci chassés, on pourrait retourner à la table des négociations, et sauver une partie de la Zad.
Cette distinction entre « bons zadistes » (paysans et pacifiques) et « mauvais zadistes » (précaires et provocateurs) est une des querelles internes du mouvement d’opposition, un point faible sur lequel le gouvernement appuie depuis des années.
La fin du premier jour d’intervention policière sera un coup de tonnerre au milieu des lacrymogènes : l’Etat détruit la Ferme des 100 noms.
C’est des lieux les plus emblématiques de la Zad : une ferme collective, très appréciée des zadistes, une bergerie, un jardin maraîcher qui produit des semences pour les autres lieux, qui nourrit largement alentour, un projet soutenu par les paysans alentour. Un des lieux les plus légitimes aux yeux du mouvement. Cette destruction cristallise aussitôt le mouvement, et semble effacer toutes les divisions de la veille. L’État touche au cœur même du projet de la Zad, et anéantit tout espoir de négociation (« l’État n’a pas de parole ! »).
Bataille dans l’espace médiatique
Les militantEs, aguerriEs par des années de lutte politique, sauront présenter aux médias cette destruction comme elle doit l’être : avec le cœur. Les larmes sont vraies devant les caméras. L’agnelle dans les bras d’une jeune femme est bien mort sous les décombres de la Ferme des 100 noms.
C’est ainsi que le mouvement répond au gouvernement, à cette opération de communication autant que policière. Il perce le brouillard médiatique. L’écho est immédiat : les plus modérés se rallient à la défense de la Zad. Comme en 2012, la légitimité de l’intervention policière bascule un peu du côté de la Zad, cristallise les réactions politiques, et oblige dans les jours suivants chaque organisation, associative, syndicale ou politique à se positionner.
Les 200 habitantEs sont bientôt rejoints par des centaines d’autres militantEs, de tous âges et de toutes sensibilités : environ 700 personnes seraient sur le site actuellement, des milliers d’autres sont attendus dimanche 15 pour une grande manifestation.
L’État at-il fait une erreur en détruisant Les 100 noms et d’autres lieux ? Les opérations d’évacuations sont suspendues. La Préfète Klein annonce maintenant vouloir rouvrir les « négociations » entamées avec l’ensemble des opposantEs, et fixe au passage un nouvel ultimatum : dans 10 jours, les projets agricoles individuels devront être déposés en préfecture.
Le message semble clair : l’État affirme qu’il a les moyens de détruire la Zad. Les moyens policiers, il les a très certainement. Mais la bataille politique n’est pas terminée.
Bertrand Achel, Nantes, le 13 avril
__________ infos pratiques pour le dimanche 15 avril sur la Zad : Le rendez-vous est à partir de 12h sur le Chemin de Suez (voir la carte ci-dessous) Cette manifestation ne sera pas un défilé classique : il est impossible de donner des indications précises pour un lieu de rendez-vous. Il faudra rouler vers la Zad, et continuer à pieds. Prévoir d'emporter des papiers pour les contrôles, des bottes ou des chaussures de marche, des lampes de poches (pour le retour, qui peut être long) de la nourriture et de quoi boire. Les militantEs préféreront les pancartes aux drapeaux. De nombreuses infos pratiques sont présentées sur http://zad.nadir.org. Indispensable, le plan de la Zad à imprimer : https://zad.nadir.org/IMG/pdf/zad-situation-2016-juillet.pdf